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Décryptage de la Circulaire sur l'adresse de référence du 7 juillet 2023 : complexités juridiques et enjeux pratiques

Adèle Pierre, Conseillère dénombrement, Bruss’help

 

L’adresse de référence renvoie à un arsenal juridique complexe : une loi (1997) qui en complète une autre (1991), un arrêté d’exécution, plusieurs circulaires (21 mars 1997, 27 juillet 1998, 4 octobre 2006 et 7 juillet 2023). Dans la pratique, les communes et les CPAS interprètent de manière différente ces dispositions. En cause, des instructions et des recommandations qui ne clarifient pas toujours le contexte légal de la mise en application du principe d’adresse de référence. Il est pourtant essentiel que les personnes sans-abri puissent bénéficier d'une réponse administrative uniforme pour faciliter leur réintégration et favoriser leur stabilité. La récente circulaire du 7 juillet 2023 a été promulguée dans cet objectif : clarifier les règles et simplifier les démarches administratives. Elle détermine également de manière plus précise le rôle des CPAS et des communes dans l’octroi de l’adresse de référence. Cependant, en précisant de nouvelles dispositions, la circulaire impacte la gestion des adresses de référence au sein des maisons d’accueil et la pérennité des droits pour les personnes sans-abri.

 

L’inscription à titre de résidence principale à partir d’un séjour d’au moins trois mois en institution

Si la circulaire clarifie les rôles et les dispositions, elle introduit des matières propres à la tenue des registres et tout particulièrement de l’article 1er de la loi de 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d'identité, aux cartes des étrangers et aux documents de séjour. La loi stipule que « dans chaque commune, sont tenus des registres de la population dans lesquels sont inscrits au lieu où ils ont établi leur résidence principale, qu'ils y soient présents ou qu'ils en soient temporairement absents, les Belges et les étrangers admis ou autorisés à séjourner plus de trois mois dans le Royaume (…) ». Ainsi, les registres de la population enregistrent la résidence principale des individus présents dans une commune pendant plus de trois mois. En introduisant ce principe dans la circulaire, on applique cette condition aux personnes inscrites en adresse de référence au sein d’une structure d’accueil. Ainsi, une institution qui accueille une personne sans domicile fixe pendant plus de trois mois doit l’y inscrire à titre de résidence principale. Si le séjour est de moins de trois mois, l’adresse de référence pourra être toujours demandée au CPAS.

« Une inscription en tant que résidence principale est possible à partir d’un séjour d’au moins 3 mois dans toute institution dans laquelle des personnes résident de manière organisée (personne morale, ASBL...) par exemple une institution psychiatrique, un établissement de soins, une institution qui accueille des malades, un centre de rééducation » (Circulaire du 7 juillet 2023 - Coordination et actualisation des directives en matière d’adresse de référence pour les personnes sans-abri).

Une condition va d’ailleurs au-delà de la loi de 1991 qui est l’obligation faite à un tiers d’inscrire une personne en adresse de résidence principale, en l’occurrence à l’adresse d’une institution. Pourtant, il est important de souligner que, conformément au principe juridique, une circulaire ne peut introduire de nouvelles règles qui contreviennent à la loi existante. En ce sens, une circulaire réglementaire serait considérée comme illégale.

Paradoxe de la domiciliation en institution et conséquences sur le statut de sans-abri

En s'appuyant sur la loi de 1991, la circulaire souligne un nouveau paradoxe. Celle-ci précise en effet que la résidence dans une institution ne compromet pas le statut de sans-abri tel qu'apprécié par le CPAS. Pourtant, la domiciliation de ces personnes les prive précisément de leur caractère de sans domicile fixe. La typologie ETHOS (Feantsa, 2007) indique que l'on ne peut pas assimiler une maison d'accueil à un logement conventionnel, car les individus qui y résident sont, par définition, sans domicile fixe. Cela revient à exclure la possibilité de considérer la maison d'accueil comme un lieu de transition, un tremplin vers un logement stable. L'utilisation du terme "domiciliation" est ainsi chargée de conséquences.

La domiciliation à l’adresse de l’institution peut également être problématique à long terme. Par le caractère transitoire des structures d’accueil, les personnes risquent de perdre la stabilité d’un suivi offert par une adresse de référence au CPAS. Pour les personnes en errance, il est courant de changer de structure d'accueil ou de situation de logement, ce qui peut entraîner des inscriptions et radiations, et donc perte de droits sociaux, successives au cours de leur parcours.

Impacts de la circulaire sur l'expulsion de résidents problématiques et les difficultés de gestion dans les maisons d'accueil

Depuis l’introduction de la circulaire, certaines maisons d’accueil pointent la difficulté de mettre fin au séjour de personnes qu’elles identifient comme « posant problème », pour cause de non-paiement du loyer, violences, consommation abusive, non-respect du règlement intérieur, etc. En effet, pour mettre fin au séjour d’une personne domiciliée, il faut passer par une procédure d’expulsion, qui peut durer jusque six mois. De ce fait, ces personnes restent légitimement dans l’hébergement, insécurisant le personnel.

« Et surtout, ils se passent le mot : ‘mais vas-y pourquoi tu paies le loyer, ils peuvent pas te mettre dehors’ ; ‘tu veux consommer, vas-y, on peut pas te radier de toute façon vu que t’es domicilié là’ » (Enquête auprès d’une maison d’accueil, décembre 2023)

Il existe un risque que les structures d'accueil instaurent des critères restrictifs favorisant des profils moins susceptibles de causer des problèmes. De plus, certaines maisons d'accueil pourraient adopter des approches oppressantes envers les individus considérés comme problématiques, dans le but de les inciter à quitter les lieux. Cette situation place les directions des maisons d'accueil dans une position délicate, jonglant entre leur mission sociale d'accueillir une diversité de profils et de veiller au bien-être des résidents, et une dimension managériale visant à assurer la sécurité des employés.

« On est déjà dans des structures où il faut savoir recruter les gens, les garder avec des horaires pas toujours confortables. C'est déjà pas un boulot facile, donc si en plus tu te dis ‘moi tous les soirs je vais croiser ce mec qu'on veut virer, qui a cassé la gueule de l'autre’ mais qui reste là, c'est affreux » (Enquête auprès d’une maison d’accueil, décembre 2023)

Conclusion et recommandations

Il s’agit revoir le concept de domiciliation et de promouvoir une approche plus adaptée à la réalité des personnes en situation d'errance. Une adresse de référence, attribuée par une structure régionale dédiée, pourrait être instaurée pour les individus résidant temporairement dans des institutions. Celle-ci pourrait bénéficier de ressources supplémentaires et pourrait être mandatée pour assumer cette mission. L’adresse administrative serait maintenue tant que la personne n'obtient pas de domicile fixe, garantissant ainsi la continuité de ses droits. Il serait également opportun de créer un guichet spécifique au sein des CPAS pour les personnes en errance, non localisées, assurant une transition fluide des droits avant leur transfert à un CPAS déterminé. Une inscription en adresse de référence avec une mention spécifique au registre national renvoyant à l’adresse de l’institution pourrait également être une solution. Les droits seraient maintenus, la continuité du suivi assurée par le CPAS et la personne serait localisable, comme le voudrait le SPF Intérieur. Enfin, il conviendrait de reconsidérer l'appellation "domiciliation" afin de refléter plus précisément la nature de cette adresse de référence. Ces recommandations visent à garantir les droits et l'intérêt des personnes en situation d'errance, tout en simplifiant les démarches administratives et assurant une prise en charge adéquate.

 

Documents cités :

Circulaire du 7 juillet 2023 relative à la coordination et l’actualisation des directives en matière d’adresse de référence pour les personnes sans-abri.

Loi de 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d'identité, aux cartes des étrangers et aux documents de séjour.

FEANTSA. (2007). Typologie européenne de l’exclusion liée au logement.

 

 

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