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EDITO

ETHIQUE DE CONVICTION ET ETHIQUE DE RESPONSABILITE

« Ils ont préféré la grandeur de leur cité au salut de leur âme »
Machiavel, Histoires florentines

On dit que l’actualité est l’écume des choses. A l’heure où débutent les activités que vous trouverez dans les pages qui suivent, la dernière vague de contamination Omicron s’éloigne tandis qu’éclate la guerre sur le continent Européen. Et au moment de mettre la dernière main à ce rapport (en mars 2023), la crise nationale de l’asile atteint son paroxysme et contraint plusieurs milliers de personnes à survivre en squats et en rue.

Le rôle de notre organisme n’est pas de faire la une des journaux. Pourtant, quand il se trouve à agir au cœur de l’actualité, ce n’est ni malgré lui ni par hasard. C’est que dans chacune des crises qui secouent notre Région, ce sont toujours les groupes de populations les plus vulnérables qui se retrouvent dans les eaux noires de la grande précarité : basculements dans l’absence de chez-soi, non accès aux (et privation de) droits. Nous avons encore en tête ces regards de femmes seules avec enfants débarquant des premiers trains en provenance d’Ukraine, en février 22 ; comme ceux des jeunes migrants demandeurs de protection grelottant dans des tentes face au Petit Château, en décembre de la même année. Le choix posé depuis la fondation de Bruss’help n’est pas de se dévouer à la surface des choses mais bien de poigner dans l’océan de misère, sous l’écume. La façon d’endosser notre rôle, nous l’avons choisie dans la construction de réponses structurées avec nos partenaires, avec les ayants-droits.

C’est la 1ère clé de lecture de ce rapport : construire des parcours d’aide pour chaque groupe de population. Il y a le temps de la détection et de la protection, oui …mais jamais un enfermement dans les logiques de l’urgence. S’il fallait retenir trois activités représentatives de cet esprit, ce serait bien sûr la « Mission Ukraine » qui a vu notre équipe concevoir des référencements préventifs, des hébergements communautaires et une stratégie d’accès au logement. Mais pas que. La mise sur pied des équipes mobiles Cover tirées du retour d’expérience de l’outreach Covid dote le secteur d’un nouvel instrument, la réforme du dénombrement qui pour la première fois dresse les profils détaillés des situations d’absence de chez-soi… tout ceci contribue à sortir du conjoncturel et à agir sur le structurel.

Les crises nous ont poussés à innover, elles nous ont amené à apprendre et grandir sans dévier de la trajectoire de nos missions dont le lecteur pourra trouver la progression dans la rose des vents annuelle de ce rapport.

Allouer les ressources : point de rencontre des convictions et responsabilités

Que notre Région ne peut plus vivre avec la plaie béante du sans-abrisme et du mal-logement est une conviction que nous partageons avec tous nos partenaires. Le statu quo ou la gestion de la misère n’est pas une option car elle mènerait à mettre en danger et à infliger aux personnes et familles une survie contraire à la dignité humaine. Encore plus massivement aujourd’hui qu’en période « d’avant-crises » (que certains nantis qualifient toujours de « temps de l’abondance »). Est-ce une conviction partagée par l’autorité publique qui nous mandate ? Nous interrogeons ce point, tant nous devons ainsi que nos partenaires, composer avec une assiette de moyens sur lesquels la haute main reste peu partagée ou déléguée.

Quoi qu’il en soit, cette question des moyens –ceux qui nous sont alloués– nous engage. Une seconde conviction à Bruss’help est que nous sommes comptables de l’emploi des ressources mises à notre disposition. C’est un dû vis-à-vis des premier·e·s concerné·e·s et des syndicats sans-chez-soi. Car investir du temps, des forces vives et les deniers des contribuables dans « un service public pour ceux qui n’en ont plus ou pas encore » est un choix politique. C’est ici la 2ème clé de lecture de ce rapport : montrer où ont été placées les forces, ce qui a été fait et que ce qui a été fait produira (produit déjà) des effets à court, moyen et long terme.

Car nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes1. C’est ici l’un des points de rencontre possibles entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. L’une et l’autre peuvent se compléter. Pour aider à la lecture de ces allocations de ressources en 2022, vous pourrez vous référer aux infographies qui scandent chaque chapitre. Celles-ci sont un exercice de transparence qui permet de mieux connaître les visages de Bruss’help et de mettre en perspective les dernières pages dédiées aux finances avec les contenus d’activités. Sans spoiler le déroulé de l’année, on remarquera qu’un point d’honneur a été mis sur les comités organiques et singulièrement, sur le lancement du processus de Masterplan qui implique ayants-droits, professionnels de la santé et du social, mondes académique et politique. Les attentes et enjeux sont forts. Ne nous en cachons pas, c’est un travail de titan qui est en mouvement. Pas seulement en comités mais aussi en pôles thématiques. Pas seulement dans l’équipe mais chez chacun de nos partenaires dont nous savons le temps et les énergies sous tension et qui « même fatigués restent debout 2». Nous leur adressons de chauds remerciements.

Imaginer Prométhée heureux : une nécessité pour chaque partie prenante

S’il est vrai que dans toute expérience humaine, on n’aurait jamais atteint le possible sans toujours et sans cesse s’attaquer à l’impossible, cette logique trouve à présent sa limite ou du moins, touche un point de bascule qui nécessite de se positionner. L’expérience des opérations en cours au premier trimestre illustre la prégnance de l’ingérence du Gouvernement sur les tâches de coordination. Pour être efficace et légitime, notre action nécessite des moyens et une prise sur leur affectation avec et pour les professionnels à l’œuvre sur le terrain.

Nous ne pouvons pas devenir go-between entre pouvoir et récipiendaires. La position actuelle, à parler de « titans » s’apparente à celle de Prométhée. Non pas sur le fait d’apporter le savoir, restons humbles… mais sur le fait de travailler selon une nouvelle intelligence collective, dérober le feu pour le remettre aux acteurs et permettre une autre organisation : mouvement à risque, « entre marteau et enclume » disent nos partenaires attentifs. En cette fin de législature, cet aspect devra être tranché. Il ne sera pas possible de faire du neuf avec des

Recettes du passé mais il est encore temps d’envisager Prométhée sans chaînes et pourquoi pas ? Heureux.

Tout au long de l’année, nous avons également relevé que dans la course aux objectifs, retrouver du souffle, recomposer ses forces était difficile pour beaucoup d’entre-nous. L’impact mental et matériel de la flambée des coûts de la vie sur notre quotidien n’est pas à minimiser non plus. Le memento pour 2023 : Travailler à la grandeur de notre cité peut (doit) aussi se faire sans mettre à mal notre santé. Veiller à ce bien-être, nous le devons à l’équipe de 20 collaborateurs·trices qui ont fait 2022 (comme aux 3 collègues qui nous rejoignent cette année). Nous nous le devons également entre partenaires. C’est autant une question de conviction humaine « prendre soin de celles et ceux qui prennent soin des autres » que de responsabilités : conserver les talents et expertises de chacun·e, les faire grandir sur le long terme.

Edito Collectif

Pierre Verbeeren, Président.
François Bertrand, Directeur.

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